Spécificité de l'ECG du sportif

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Introduction et épidémiologie

Il est largement établi que la pratique sportive est associée à d’importants bénéfices en terme de morbi-mortalité mais elle peut, notamment lorsqu’elle est pratiquée de manière intensive, déclencher des arythmies ventriculaires malignes mettant en jeu à court terme le pronostic vital. Ces arythmies démasquent généralement une pathologie cardiaque sous-jacente. En effet, la mort subite constitue la première cause de mortalité chez les athlètes. Ainsi, l’intérêt d’un screening cardiovasculaire permettant la détection précoce des sujets à risques semble nécessaire. Néanmoins l’interprétation de l’ECG d’un sportif peut parfois s’avérer délicate en raison d’un remodelage électrique physiologique, mais également en raison de variations liées à l’âge et l’ethnie.

L’estimation actuelle d’incidence de la mort subite par les athlètes de compétition atteint entre 500 et 1000 athlètes par an en France. La prévalence de la mort subite semble plus importante parmi les athlètes de sexe masculin (rapport H/F à 3/1), d’origine afro-américaine, pratiquant une activité de soccer ou basketball.

Avant 35 ans, la mort subite est essentiellement d’origine génétique ou structurelle congénitale. Au delà de 35 ans, l’étiologie coronaire semble majoritaire.

Definitions

Selon l’ESC, un athlète est défini comme toute personne (amatrice ou professionnelle) qui pratique un exercice physique régulier d’entrainement et de compétition. On peut définir 3 catégories d’athlète selon le niveau de pratique sportive :

·       Pratique intensive (équipe nationale, athlète professionnel), pratiquant ³ 10h/semaine

·       Pratique régulière (scolaire ou en club), pratiquant ³ 6h/semaine

·       Pratique loisir au delà de 4h/semaine


Place de la visite d’absence de contre-indication à la pratique sportive

Les sociétés européennes (ESC) et française de cardiologie (SFC), recommandent la réalisation d’un ECG lors de la visite d’absence de contre-indication à la pratique sportive en compétition. De la même manière, la surveillance régulière de l’ECG est obligatoire pour tous les athlètes inscrits sur liste de haut niveau.

En effet, certaines études ont montré qu’un dépistage des athlètes basé uniquement sur l’interrogatoire et l’examen Clinique était insuffisamment performant pour détecter d’éventuelles pathologies cardiovasculaires à risque.

Depuis 2009, la SFC recommande la réalisation d’un ECG 12 dérivations au repos chez l’athlète de compétition âgé de 12 à 35 ans en complément d’un examen physique et l’interrogatoire personnel et familial, tous les 3 ans jusqu’à l’âge de 20 ans, puis tous les 5 ans de 20 à 35ans.

Cet ECG est également à réaliser chez les sportifs qui reprennent une activité physique à partir de 35 ans pour les hommes et 45 ans pour les femmes ainsi que chez les sujets à risque cardiovasculaire.

Parmi les athlètes de >35ans, l’algorithme de dépistage ci-dessous est proposé :

Algo35ans.png



Types de sport

Différentes classifications sont actuellement utilisée pour classer les activités sportives selon leur intensité ainsi que leur composante statique ou dynamique : Classification de Mitchell (2005) ou de Pellicia (EHJ 2020).

ESC types sport.png


Analyse de l’ECG du sportif

Les modifications ECG visibles chez les athlètes sont le reflet d’une augmentation du tonus vagal ainsi que d’une dilatation et hypertrophie des cavités cardiaques. Ces phénomènes adaptatifs physiologiques ne nécessitent pas d’examen complémentaire, à condition que le sujet soit asymptomatique sans antécédent familial et avec un examen clinique normal.

Interprétation ECG.png



Aspect normal

·       Bradycardie sinusale ≥ 30/min ; arythmie respiratoire prononcée ; pauses sinusales de <3 secondes. Ces présentations cliniques s’expliquent par l’existence d’un tonus parasympathique plus important. On peut également observer un rythme ectopique atrial ou un rythme d’échappement jonctionnel (relai d’un rythme sinusal lent).

ECG1.png

·       Hypertrophie ventriculaire gauche isolée : somme de l’onde S en V1 et de l’onde R la plus ample en V5-V6 > 3,5mV ou 35mm : mal corrélée au dégré d’hypertrophie structurelle.

ECG2.png

·       Hypertrophie ventriculaire droite isolée : definie par l’index de Sokolow-Lyon (somme de l’onde R en V1 et de l’onde S la plus ample en V5-V6>1.1mV)

·       BBD incomplet (ne pas méconnaître une DAVD si associé à d’autres anomalies ECG).

·       BAV1 : PR jusqu’à 400ms ;  BAV2 Mobitz 1 régressif à l’effort.

BAV1 < 400ms.
BAV2 Mobitz 1.

·       Aspect de repolarisation précoce : définie par un sus décalage ≥ 0,1 mv (1mm) de la jonction QRS-ST (point J) dans ≥2 dérivations contiguës inférieures (II, III, aVF) ou latérales (DI, AVL, V4-V6). Intéresse jusqu’à 45% des athlètes blancs et 91% des athlètes noirs. Se manifeste sous la forme d’un empâtement (« slurring ») ou encoce (« notch »).

Syndrome de repolarisation précoce. [1]

Chez le sujet d’origine afro-caribéenne, une forme particulière de sus-décalage du segment ST dans les dérivations antérieures associée à une inversion des ondes T de V1 à V4 doit être considérée comme physiologique. Néanmoins, en l’absence de sus-décalage, l’inversion des ondes T de V1 à V4 est anormale, tout comme l’extension de l’inversion des ondes T au delà de V4.

Repolarisation d'un sujet afro-caribéen.

·       Négativation des ondes T de V1 à V3 : fréquemment rencontrée chez les sujets de < 16ans.


Aspect limite

En présence d’une seule de ces modifications, aucun examen complémentaire n’est nécessaire. En revanche, si présence d’≥³2 critères, alors des investigations complémentaires doivent être réalisées.

·       Déviation axiale gauche entre -30° et -90°

·       Hypertrophie atriale gauche : durée de l’onde P ≥120ms en D1 ou D2 avec une portion négative ≥1mm en profondeur et ≥40ms.

·       Déviation axiale droite >120°

·       Hypertrophie atriale droite : onde P ≥2,5mm en inférieur

·       Bloc de branche droit complet : entre 120 et 140ms.


Aspect anormal

·       Inversion des ondes T : ≥1mm dans ≥2 dérivations contiguës à l’exclusion de D3, avR et V1.

o   Latéral ou inférolatéral : doit faire rechercher une CMH, CMD, VG non compacté, DAVD ou une myocardite via la réalisation d’une ETT, IRM myocardique, test d’effort et holter ECG.

o   Antérieur : peut orienter vers DAVD ou CMD. Intérêt de réaliser une ETT, IRM coeur, test d’effort, holter ECG et des potentiels tardifs.

o   Inférieur : bilan ETT +/- IRM

Aspect compatible avec cardiomyopathie hypertrophique.

·       Sous décalage du segment ST :  0,5mm de profondeur dans ≥ 2dérivations contiguës. Evoque en 1er lieu d’une cardiopathie structurelle sous jacente.

·       Onde Q pathologiques : définies par rapport Q/R ≥0,25 ou onde Q≥40ms dans ≥2 dérivations contiguës (à l’exclusion de D3 et aVR). Indique la réalisation d’une ETT et la recherché d’arguments en faveur d’une coronaropathie.

·       BBG complet et/ou QRS ≥ 140ms : nécessite toujours un bilan complémentaire (1er lieu une ETT).

·       Onde epsilon : signal distinct de basse amplitude (déflexion positive ou encoche) entre la fin du QRS et le début de l’onde T en V1-V3. Pathognomonique de la DAVD – souvent associée à des ondes T négatives en antérieur.

Aspect compatible avec dysplasie arythmogène du ventricule droit.


·       Préexcitation ventriculaire : intervalle PR<120ms avec une onde delta (empâtement du début du QRS) avec durée du QRS ≥120ms. Intérêt d’une ETT systématique et stratification du risque rythmique lié à la voie accessoire :

o   Epreuve d’effort : 1e intention. Le caractère bénin est affirmé par une disparition brutale (d’un battement à l’autre) de la préexcitation.

o   Etude électrophysiologique (si non bénin à l’EE) : exploration et ablation si déclenchement d’une tachycardie jonctionnelle par réentrée atrioventriculaire ou FA inductible (risque de conduction en 1-1 au ventricule avec dégénérescence en fibrillation ventriculaire), intervalle R-R préexcité en FA ≤ 250ms, période réfractaire antérograde de la VA ≤ 250ms, voies accessoires multiples ou position septale.

Syndrome de Wolff-Parkinson-White.


·       Intervalle QT prolongé : valeur seuil pathologique ≥ 470ms chez l’homme et ≥ 480ms chez la femme. Intérêt d’étudier le dynamisme de cet intervalle lors du passage à l’orthostatisme ou à l’effort. Attention, l’existence d’une bradycardie sinusale associée rend moins fiables certaines formules de correction : la plus adaptée est celle de Bazett. Toujours éliminer une cause secondaire avant d’envisager des tests génétiques / pharmacologiques. La participation à des activités physiques intensives récréatives ou en compétition chez les patients avec un syndrome du QT long génétiquement confirmé ou avec un QTc >500ms, y compris sous traitement bêtabloquant, n’est pas recommandé.

Syndrome du QT long.


·       Aspect de brugada de type I :  aspect de dôme avec sus-décalage initial d’³2mm avec ST descendant, suivi d’une onde T négative et symétrique dans ³ 1 dérivation de V1 à V3. Intérêt d’une stratification globale du risque du sportif concerné.

Aspect de Brugada de type I.

·       Bradycardie sinusale profonde < 30bpm ou pause ≥ 3secondes

·       PR long ≥ 400ms

·       BAV2M2 – BAV3

·       Arythmie atriale : FA, flutter. A noter que la pratique sportive d’endurance est associée à une augmentation de l’incidence de la FA. Aucune restriction n’est retenue si la cadence ventriculaire est contrôlée. L’ablation de flutter est toujours recommandée, celle de la FA l’est chez les sujets présentant des épisodes récidivants symptomatiques ou chez ceux ne souhaitant pas de traitement médicamenteux.

·       Hyperexcitabilité ventriculaire : l’existence d’≥2 ESV par tracé ECG de 10 secondes doit conduire à la réalisation d’un bilan complémentaire incluant interrogatoire, holter ECG, test d’effort +/- imagerie cardiaque.


Auteur(s): Marine Hanib

Références

·       Tracés ECG : banque ECG (courtoisie Pr Schnell CHU Rennes) – site e-cardiogram[2]

·       Drezner J et al. International criteria for electrocardiographic interpretation in athletes. BJSM 2017

·       Interprétation de l’électrocardiogramme de l’athlète Recommandations 2017 pour le non-cardiologue. Revue Médicale Suisse